La lingerie

Que portait-on sous les drapés crétois du deuxième millénaire avant J.-C.? L'ancêtre de la guêpière chère à Marcel Rochas! Un corset soutenant les seins à la base pour les dévoiler dans leur quasi-nudité. Une centaine d'années plus tard, les femmes adoptent l'apodesme, bandelette d'étoffe qu'elles enroulent sous leur poitrine. Il n'est plus question de montrer les seins, mais de les soutenir.

Obsédés par l'harmonie, les Grecs s'opposent à l'idée du sein tombant, comme les Romains dont les fascia emprisonnent les seins essentiellement pour freiner leur croissance, cédant la place, si nécessaire, au mamillare, soutien-gorge de cuir mou chargé d'écraser la poitrine des matrones. La chute de l'Empire romain et les grandes invasions celtes et germaniques signent la liberté du buste.

Mais au diuzième siècle, avec la mode des vêtements moulants, finie la liberté: taillé près du corps, lacé, le corsage enserre le buste comme une cuirasse. Les vêtements étranglent à nouveau une poitrine que le puritanisme moyenâgeux préfèrerait effacer.

Trois siècles plus tard, nouveau bouleversement: montrer la naissance des seins est chose permise, sinon souhaitée. Dans le duché de Bourgogne, les femmes arborent une ceinture sous la poitrine pour remonter le corsage. Même si certains prédicateurs et le clergé s'en offusquent, les seins sont dressés, mis en évidence. Immortalisée par Jean Fouquet, Agnès Sorel (favorite de Charles VII) lance même la mode du sein dévoilé. Un seul, suggestif.

L'attitude redevient vertueuse sous Charles Quint puis Henri II. Les femmes sont captives de robes sombres fermées jusque sous le menton et se voient forcées de renfiler un corset qui n'a vraiment rien d'un accessoire érotique. Un siècle plus tard, le cardinal Mazarin ira jusqu'à rendre, en 1654 et 1656, deux édits contre les passementeries et les éléments de la toilette féminine. La réaction viendra d'abord de la Régence. Finies les polémiques autour de la gorge. Les discours libertins les remplacent, et si le corset reste d'actualité, des baleines plus souples et plus nombreuses contribuent à le rendre moins contraignant, les décolletés refleurissent.

Bien avant la Révolution de 1789, déjà, Jean-Jacques Rousseau, adepte du retour à la nature, s'opposera à ce que les plus virulents présentent comme un "pressoir à corps", réservé à une élite. Il a même pris part à la bataille anticorset déclenchée, dès 1750, par le corps médical puis par un certain Bonnaud dont le pamphlet La Dégradation de l'Espèce humaine par l'Usage du Corps à Baleines s'en prend à ces échafaudages susceptibles de nuire à la santé. A la campagne, les femmes de condition modeste y ont depuis longtemps renoncé, leur préférant le corselet lacé, pas trop serré, qu'elles enfilent sur leur jupe et leur chemise afin qu'il n'entrave pas leurs activités.

Quand apparaît le mot dessous, la fin du dix-nouvième siècle est proche. Le terme se substitue à celui, bien moins romantique, de linge de corps. Dentelle, broderie, effets de tissage contribuent à son ornementation. L'adoption du pantalon, fendu pour les dames, fermé pour les demoiselles, mais surtout garni de rubans, de volants, de faveurs, de trou-trous, va faire tache d'huile. Mais le corset, dont on dit qu'il modèle les femmes sur le modèle du sablier, entonne son chant du cygne. Jugé trop contraignant, il s'accommode mal des velléités libertaires de la garçonne des Années folles. Quelques couturiers, tels Paul Poiret, Madeleine Vionnet, le bannissent. Parallèlement, le mode de vie change.

Vers 1910, la pratique du vélo pousse les femmes à choisir des corsets plus souples qui n'entravent pas le mouvement. Quand la Première Guerre mondiale arrive, les jeux sont faits: tandis que les hommes se battent, les travaux champêtres sont dévolus à leurs compagnes, les commerçantes se mettent au volant, les usines se remplissent d'un personnel féminin qui souhaite se simplifier l'existence. Privées de leur femme de chambre, les bourgeoises troquent leur corset contre une gaine, plus souple, donc plus facile à enfiler, oû les baleines sont remplacées par des ressorts caoutchoutés. Le corset ne s'en remettra pas, définitivement sacrifié sur l'autel de la commodité...

C'est une jeune Américaine, Mary Phelps Jacob, dite Caresse Crosby, qui eut l'idée, en 1913, de fabriquer un soutien-gorge à l'aide de mouchoirs et d'épingles de sûreté. Déposant un brevet l'année suivante, elle tente de le commercialiser. En vain. Elle décide de céder le brevet à l'entreprise Warner's qui met au point, en 1931, un tissu chaîne et trame, élastique dans les deux sens, qui servira à la confection des premiers modèles. C'est Warner's encore qui crée les bonnets à profondeur variable, de A à E, les bretelles élastiques et même le bonnet moulê sans couture des années 70.

Texte tiré du site Capstyl

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